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La monnaie doit être rare

La monnaie doit être rare

Et si la richesse n’avait rien à voir avec la quantité de monnaie en circulation, mais tout à voir avec notre capacité à gérer la rareté ?

Publié le 20/11/2024Mis à jour le 20/11/2024

En bref

La monnaie, bien unique et essentiel, traduit nos choix et notre rapport à la rareté. Elle reflète la valeur des biens, guide les échanges et conserve le fruit de notre travail. Comprendre ses mécanismes, des prix libres à son lien avec l’épargne, révèle son rôle crucial dans l’allocation des ressources.

La monnaie, un bien unique dans le marché

Qu’est ce que la monnaie ? La monnaie est un bien unique dans le marché. Elle n’est pas créée pour être consommée, contrairement aux biens de consommation, ni conçue pour servir à la fabrication de biens de consommation, comme les biens d’équipement. Si elle n’est pas détruite, consommée, usée ou améliorée, elle n’a donc pas besoin d’être remplacée. La monnaie ne sert qu’à une seule chose : être une mesure de la valeur (un ratio d’échange entre les biens) et un intermédiaire d’échange pour l’économie. Ce sont toutes ces idées que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

“La monnaie n’est pas consommée, sa fonction est d’agir comme un intermédiaire d’échange - de permettre aux biens et aux services d'être échangés le plus rapidement possible d’une personne vers une autre.” – Murray Rothbard

“La monnaie n’est pas consommée, sa fonction est d’agir comme un intermédiaire d’échange - de permettre aux biens et aux services d'être échangés le plus rapidement possible d’une personne vers une autre.”

Dans la pensée économique autrichienne,  l’un des rôles de la monnaie, en tant qu’intermédiaire d’échange, est de diffuser de l’information sous la forme des prix. Le prix forme un signal, il est à la fois l’expression comptable de la valorisation subjective qu’un acteur économique fait de son bien et, à l’échelle du marché, une étoile directrice qui informe l’ensemble des acteurs économiques sur l’état du marché. Cette transformation de la valorisation subjective en termes monétaires est essentielle pour l’échange ; c’est de cette manière que deux valorisations, celles de l’acheteur et du vendeur, vont pouvoir s’accorder.

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Pensez à une boulangerie : l’acheteur préfère le pain à son argent, alors que le boulanger préfère l’argent au pain. Une transaction se résume toujours à deux valorisations différentes d’un même bien ou service qui arrivent à s’accorder grâce à un autre bien, la monnaie.

“Puisque tous les échanges se font en monnaie, toutes les valeurs d’échange sont calculées en monnaie, si bien que les gens peuvent maintenant comparer entre eux les prix de marché de tous les biens. Si un téléviseur s'échange contre trois onces d’or et une automobile contre soixante onces d’or, alors chacun peut voir qu'une automobile “vaut” vingt téléviseurs sur le marché. Ces valeurs d'échange sont des prix et la monnaie marchandise sert de dénominateur commun à tous les prix.” – Murray Rothbard

“Puisque tous les échanges se font en monnaie, toutes les valeurs d’échange sont calculées en monnaie, si bien que les gens peuvent maintenant comparer entre eux les prix de marché de tous les biens. Si un téléviseur s'échange contre trois onces d’or et une automobile contre soixante onces d’or, alors chacun peut voir qu'une automobile “vaut” vingt téléviseurs sur le marché. Ces valeurs d'échange sont des prix et la monnaie marchandise sert de dénominateur commun à tous les prix.”

La monnaie possède de ce fait des caractéristiques uniques, elle sert à traduire une valeur subjective en terme monétaire neutre et sert de dénominateur commun à tous les prix du marché. Aussi, elle ne s’altère pas et ne se consomme pas comme les autres biens, elle est de facto le seul bien dans lequel les agents économiques peuvent avoir confiance en tant que mesure de la valeur mais aussi en tant que réserve de valeur. Ils y stockent le fruit de leur travail, composé des deux ressources les plus rares que nous connaissons en tant qu’individus : l’énergie et le temps.

La monnaie est le seul bien nous permettant de différer notre pouvoir d’achat dans l’espace, pour échanger avec le maximum d’individus, et également dans le temps, pour consommer autant demain qu’aujourd’hui. Elle est également le seul bien qui a la capacité d’être un ratio d’échange stable entre tous les autres biens du marché. En résumé, la monnaie joue un rôle crucial pour l’individu, elle est la seule bouée à laquelle l’individu peut s’accrocher face à l’océan d’incertitudes qui caractérise notre existence.

La rareté nous définit

Ludwig von Mises, économiste de l’école de pensée dite “autrichienne”, a écrit à plusieurs reprises, dans son œuvre majeure l’Action humaine, sur cette question. Pour lui, la rareté est déterminante dans le principe même de l’action humaine. Sans elle, l’homme ne connaîtrait pas le besoin et ne serait jamais dans un état d’inconfort. Il ne chercherait donc pas à agir sur sa situation afin de l’améliorer et tendre vers un état futur de satisfaction, que Mises appelait aussi “l’état de repos”.

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“Le mobile qui pousse un homme à agir est toujours quelque sensation de gêne. Un homme parfaitement satisfait de son état n'aurait rien qui le pousse à le changer. Il n'aurait ni souhaits ni désirs ; il serait parfaitement heureux. II n'agirait pas ; il vivrait simplement libre de souci.” – Ludwig von Mises

“Le mobile qui pousse un homme à agir est toujours quelque sensation de gêne. Un homme parfaitement satisfait de son état n'aurait rien qui le pousse à le changer. Il n'aurait ni souhaits ni désirs ; il serait parfaitement heureux. II n'agirait pas ; il vivrait simplement libre de souci.”

La rareté nous entoure. Elle nous définit en tant qu’humain et détermine notre rapport au monde. Comme disait Thomas Sowell, “la rareté est la première leçon de l’économie, il n’y a jamais assez de choses (biens, ressources…) pour satisfaire tout le monde.” La rareté est la raison même pour laquelle nous nous engageons dans le processus économique avec les autres individus.

Le processus économique se résume donc à une définition assez simple : économiser la rareté et rechercher sa meilleure allocation possible dans le système de production. La rareté nous oblige à faire des choix, à sélectionner certaines voies et à renoncer aux autres. Sans elle, l’idée même de propriété privée serait absurde, l’échange également et les prix n’auraient aucun sens.

La monnaie doit être un bien rare

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Si la monnaie diffère des autres biens du marché, elle doit malgré tout refléter la réalité de ce qu’elle est censée représenter en termes comptables : la rareté. Rareté qui est la règle de base de notre monde et le profond déterminant de notre existence.

Le calcul économique que mesure la monnaie se base sur trois éléments essentiels qui sont la propriété privée, l’échange volontaire et les prix libres. Ludwig von Mises liait les trois entre eux, chacun étant dépendant de l’autre. En effet, sans propriété privée, l’échange n’est pas possible. Sans échange volontaire, les prix libres ne peuvent pas émerger. A la base de tout se trouve bien la propriété dont “l’existence et le besoin sont une conséquence de la rareté.” – Mises

Mises pensait à juste titre que le marché, avec ses mécanismes de prix, était le moyen le plus efficace d’allouer des ressources rares. Le rôle du système des prix est simple. Il doit renseigner la rareté relative des biens et des services aux individus, ce qui incite ensuite les producteurs et les consommateurs à prendre des décisions qui optimisent l’utilisation de ces ressources. “Les prix du marché sont le seul moyen par lequel la rareté des facteurs de production peut être portée à la connaissance de toutes les parties concernées.” – Mises

Nous comprenons alors aisément que la monnaie doit elle aussi être rare. Comment, dans le cas contraire, allouer convenablement les ressources si l’unité de compte, l’échelle de mesure de la valeur, augmente sans cesse ? Dans ce cas, la monnaie enverrait de mauvais indicateurs au marché, entraînant ainsi une mauvaise allocation du capital.

Si une manipulation de la masse monétaire fausse l’allocation des ressources dans le système de production, c’est aussi le cas dans le calcul du prix intertemporel du capital, le taux d’intérêt. C’est ce niveau des taux d’intérêt qui informe les entrepreneurs sur les préférences temporelles des agents en donnant un indicateur sur la quantité de l’épargne disponible pour les investissements.

Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, la monnaie est bien unique dans le marché puisqu’elle ne sert qu’à l’échange. Son statut unique parmi les biens fait qu’elle est aussi le seul bien dont la quantité doit être stable pour ne pas fausser le calcul économique mais également parce que la monnaie est le seul bien dont l’augmentation ne peut pas entraîner de richesses supplémentaires pour l’individu.

Les économistes classiques et autrichiens défenseurs de la rareté monétaire

Comme le remarque très bien Guido Hülsmann dans son essai “Déflation et Liberté”, la question de la rareté monétaire était déjà comprise par Aristote. Il pensait par exemple que la monnaie n’était pas liée à la richesse d’une société, car elle était simplement un moyen d’échange. L’opinion aristotélicienne, comme sur beaucoup d’autres sujets, a fait autorité à travers toute la pensée médiévale sur la monnaie. Les scolastiques ont donc accordé très peu d’importance à l’étude des avantages qu’une augmentation de la masse monétaire pouvait avoir pour l’économie.

Ils se sont concentrés sur la question de savoir si l’altération de la monnaie était ou non légitime. Lorsque la science économique est née, au 18ème siècle, les économistes classiques n’ont pas rejeté cette question d’une quantité de monnaie fixe dans l’économie. David Hume et Adam Smith ont fait remarquer que la monnaie n’est ni un bien de consommation ni un bien de production et que, par conséquent, sa quantité n’a pas d’incidence sur la richesse d’une société.

Cette opinion sur la question monétaire allait se transmettre aux prochaines générations d’économistes, dont Carl Menger, père de l’école économique dite autrichienne. Défenseurs d’un étalon monétaire basé sur une monnaie-marchandise, les économistes autrichiens ont toujours défendu l’idée que la monnaie doit être un bien rare. Certains, comme Murray Rothbard, expliquent d’ailleurs que les acteurs économiques intègrent, consciemment ou inconsciemment, le fait que la monnaie est un bien rare, même en système monétaire fiat.

Rothbard explique ce conservatisme des individus envers la monnaie par le simple fait que toute monnaie, y compris les monnaies fiduciaires que nous utilisons aujourd’hui, trouve son origine dans une ancienne monnaie marchandise dans laquelle la population avait confiance.

Par tradition ou habitude, les individus conservent ainsi une confiance naturelle dans leur monnaie. Cette confiance peut durer longtemps, pensons au système monétaire allemand de la République de Weimar qui a tenu jusqu’en août 1923. L’épargne est un autre signe de ce conservatisme et de ces réflexes instinctifs qui n’ont pourtant pas de sens dans un système monétaire fiat inflationniste.

Comme disait Rothbard:

"N’importe quelle quantité de monnaie convient aussi bien qu’une autre dans une économie. Le marché s’ajuste simplement en modifiant le pouvoir d’achat, ou l’efficacité de l’unité monétaire. Il n’est pas nécessaire d’intervenir pour modifier l’offre de monnaie, qui est déterminée par le marché."

"Une fois qu'il y a suffisamment d'approvisionnement en produit pour être établi sur le marché sous forme de monnaie, il n'est jamais nécessaire d'augmenter la masse monétaire. Cela signifie que toute masse monétaire, quelle qu'elle soit, est "optimale" et chaque changement dans la masse monétaire stimulé par le gouvernement ne peut être que pernicieux.”

"Une augmentation de l’offre de monnaie ne fait que diluer l’efficacité de chaque once d’or. À l’inverse, une diminution améliore la capacité de chaque once à jouer son rôle. Nous arrivons donc à la conclusion surprenante que la quantité de monnaie disponible n’a aucune importance."

La quantité totale de monnaie dans une économie n’a aucune importance, les individus s’organisent naturellement autour de cette variable en fixant entre eux, spontanément, un “prix de la monnaie ». En théorie, une quantité fixe de monnaie ne pose ainsi pas de problème. Le seul prérequis étant que la monnaie soit suffisamment échangeable et divisible pour satisfaire les échanges entre les individus, point essentiel sur lequel nous reviendrons dans une prochaine publication.

L’hubris keynésien

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En refusant que la monnaie soit un bien rare, le keynésianisme et le système bancaire à banque centrale commettent ici une erreur fondamentale qui discrédite l’entièreté de leur approche du fait économique. De cette présomption fatale découlent plusieurs incompréhensions sur l’économie.

En premier lieu, que la richesse est liée à la monnaie alors qu’en réalité la richesse est liée aux biens (outils, machines, récoltes…) formant la structure productive. Par exemple, la disparition de la moitié de la masse monétaire ne n’entraînera pas la disparition de la moitié de la  structure de production physique. Deuxièmement, le fait que le crédit permet la création de richesse, alors qu’en réalité, il ne fait que redistribuer le capital dans la structure productive. Troisièmement, que la dépense est le préalable à l’investissement alors que c’est l’épargne, cet excédent de capital sur la consommation présente, qui permet d’investir dans le perfectionnement futur de la structure productive de la société. Enfin, l’importance du temps et des préférences temporelles des agents économiques sont totalement passées sous silence et ne sont pas prises en compte dans les choix de consommation intertemporels des individus. Leur rôle déterminant dans le perfectionnement de la structure du capital est également absent.

Leur absence de théorie du capital, de théorie du calcul monétaire et leur manque d’intérêt pour les préférences temporelles des agents économiques les portent à croire que la monnaie peut être le seul bien non rare d’une économie et que son augmentation peut être génératrice de richesse.

“L’épargne - c’est à dire un excédent de production sur la consommation - est la condition indispensable de tout pas en avant ultérieur du progrès technologique” - Ludwig von Mises

“L’épargne - c’est à dire un excédent de production sur la consommation - est la condition indispensable de tout pas en avant ultérieur du progrès technologique”

Quand toutes ces incompréhensions forment la base d’une pensée économique, il n’est alors pas anormal de comprendre pourquoi la monnaie fiat a été créée. Dans cette logique, une monnaie infinie, seul bien non rare d’une économie, peut à elle seule contribuer à créer des richesses et à doper la “croissance”. Deux notions que les keynésiens ne semblent d’ailleurs pas véritablement comprendre.

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Comprenons bien qu’imprimer de la monnaie n’augmente pas le nombre de biens et les ressources dans l’économie. La richesse et le progrès ne résident pas dans l’augmentation de la monnaie, de la consommation et dans le plein emploi, mais bien dans l’épargne, l’agencement de la structure globale du capital et dans l’augmentation de la production.

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Ulrich Fromy

Ulrich Fromy

Rédacteur, Historien, Podcasteur

Historien et podcasteur passionné par l'économie autrichienne et Bitcoin. Diplômé en histoire moderne, Ulrich dirige un musée en Pays de la Loire et publie régulièrement sur HowToBitcoin et Mises.org. Son podcast « Café Viennois » explore Bitcoin, la philosophie et l'autonomie individuelle. Il anime également une communauté active sur Signal et défend la résilience individuelle face à la centralisation économique.

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