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Loi du 18 août 1936, article 1: on n'a pas le droit d'en parler

Loi du 18 août 1936, article 1: on n'a pas le droit d'en parler

Comment une loi datant de 1936 peut-elle encore influencer notre capacité à critiquer l’état de l’économie française aujourd’hui ? Un héritage légal qui mérite d’être questionné.

Publié le 21/10/2024Mis à jour le 23/10/2024

En bref

Si une loi interdit toute remise en question de la solidité de la monnaie ou des finances publiques, que devient la liberté d’expression dans un contexte de crise économique ? Une règle de protection ou une dérive autoritaire ?

Une loi oubliée, mais toujours en vigueur

Récemment, quelqu’un m’a fait apprendre l’existence d’un texte issu de la loi française qui m’a grandement surpris, premièrement par son ancienneté et deuxième par son contenu. Il s’agit de la loi française du 18 août 1936 qui stipule, dans son article 1, que tout individu :

“Sera puni de deux ans de prison et d'une amende de 9 000 euros quiconque, par des voies ou des moyens quelconques, aura sciemment répandu dans le public des faits faux ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans la solidité de la monnaie, la valeur des fonds d'Etat de toute nature, des fonds des départements et des communes, des établissements publics et, d'une manière générale, de tous les organismes où les collectivités précédentes ont une participation directe ou indirecte.” – Loi française du 18 août 1936, article 1

“Sera puni de deux ans de prison et d'une amende de 9 000 euros quiconque, par des voies ou des moyens quelconques, aura sciemment répandu dans le public des faits faux ou des allégations mensongères de nature à ébranler directement ou indirectement sa confiance dans la solidité de la monnaie, la valeur des fonds d'Etat de toute nature, des fonds des départements et des communes, des établissements publics et, d'une manière générale, de tous les organismes où les collectivités précédentes ont une participation directe ou indirecte.”

Cette disposition légale, bien que peu connue du grand public, comporte en son sein une possible dérive autoritaire, en particulier dans le contexte actuel. À travers cet article, je vous propose de revenir dessus et d’expliquer en détails les risques que ce texte comporte.

À l’origine, cette loi a été mise en place dans un contexte économique et social compliqué, avec pour objectif de protéger la souveraineté de la monnaie française et de préserver la confiance des citoyens dans les institutions financières. A cette époque, la France vivait encore les conséquences de la crise de 1929: chômage élevé, activité économique au ralenti, industrie en baisse d’activité et instabilité financière. Le gouvernement de L.Bloom avait voté une série de lois, dont celle mentionnée ci-dessus, afin de protéger la souveraineté monétaire et économique de la France, alors que les tensions diplomatiques ne cessaient d’augmenter en Europe. A l’inverse de celle du 12 février 1924, cette loi visait à être plus souple en proposant un compromis entre sécurité et liberté.

Crise 1929 france
Crise de 1929 en France. "Marche de la faim des chomeurs du Nord à Paris"

Contexte historique et objectifs initiaux

Cependant, au-delà de ses objectifs initiaux, cette loi a évolué pour devenir un outil de dissuasion contre toute critique à l’égard de la robustesse de la monnaie et de la dette françaises. Dans un contexte où la France fait face à des défis économiques majeurs, avec un déficit public de 5,6% du PIB, une dette publique dépassant 110% du PIB et une monnaie, l’Euro, qui a perdu plus de 40% de son pouvoir d’achat depuis 2000, la question de la transparence et de la liberté d’expression devient cruciale.

dette de la france

Premièrement, l’usage de cette loi aurait naïvement un intérêt dans la guerre de l’information (ou plutôt de la désinformation) qui existe actuellement dans les médias et moyens de communication (réseaux sociaux, messageries, forums). Dans un contexte de tensions géopolitiques et de guerres ouvertes tel que nous le vivons ces derniers temps, la désinformation venant des différentes parties est une réalité qui est impossible de nier, même si difficilement identifiable. Or, la difficulté même dans cette situation est de distinguer clairement la différence entre un fait établi, un fait déformé et une pure invention. En bénéficiant d’informations partielles ou incomplètes, il est difficile d’établir un jugement clair sur la véracité ou non des faits avancés. Le jugement final ne s’en remet qu’à une interprétation, voire un ressenti de la situation énoncée.

Un outil de répression des critiques économiques

Par conséquent, que ce soit pour nous, citoyens, ou l’Etat français, la définition même de la vérité ne peut être clairement établie. En énonçant la notion de vrai et de faux, cette loi établit une notion abstraite dont la définition est propre à chacun et selon un contexte bien précis. Pour illustrer, en matière d’enquête policière, la notion de vérité n’existe pas vraiment. L’ensemble des éléments identifiés sont appelés des faisceaux de preuve permettant une interprétation de la situation passée. Cette même constatation peut aussi être appliquée en économie, où les conséquences observées résultent d’un enchaînement et d’un ensemble d’actions individuelles.

Par contre, les notions de vérité absolue et son inverse sont reprises dans les régimes autoritaires, où le gouvernement en place énonce un narratif ou une réalité qui est imposée et doit être acceptée de tous ses citoyens, sans contestation possible.

Espérer que cette loi soit utilisée envers des personnes coupables et reconnues de tous est purement naïf, en particulier dans le contexte actuel où l’adversaire se situe dans une autre juridiction, loin de toute condamnation possible. Cependant, il s’agit d’un moyen parfait pour le pouvoir en place pour justifier et légitimer son usage et l’appliquer sur n’importe quel acteur ou individu, surtout sa propre population, afin de réduire sous silence toute critique envers sa monnaie ou sa situation budgétaire.

La même discussion peut être amenée à un niveau plus large dans le cas du Digital Services Act, qui est une loi européenne visant spécialement à lutter contre la désinformation.

Le monopole de l’information économique : un obstacle à la transparence

Par ailleurs, ce texte est d’autant plus pervers qui traite d’un sujet sur lequel les citoyens ont actuellement peu d’accès: la situation économique actuelle de la France. Que ce soit à propos de l’Euro ou des comptes publics français, il n’existe aujourd’hui qu’une seule source d’information accessible aux citoyens, qui n’est autre que l’Etat lui-même (via les différents organismes publics en charge). Face à l’absence d’un acteur indépendant auditant les comptes au nom des citoyens, il devient difficile pour ces derniers d’obtenir des informations qui soient les moins modifiées et corrompues possibles. Ce conflit d’intérêt crée un déséquilibre total en défaveur de la population française. L’avantage dans le débat est au pouvoir public, qui a tout intérêt à fournir des chiffres allant dans son sens, afin de se garder de toute critique venant de sa population.

Ainsi, il devient plus difficile pour les citoyens d’apporter les arguments justifiant leur critique envers la monnaie et la gestion de l’Etat, bien que légitime. Même s’ils ne sont pas en mesure de justifier, les citoyens sont tout de même capables de pouvoir ressentir et identifier les incohérences du gouvernement français. L’exemple le plus pertinent reste l’inflation des prix. D’un côté, l’INSEE communique tous les mois l’évolution de l’inflation des prix à la consommation en France, or les français observent un net décalage entre les chiffres communiqués et l’évolution générale de leurs dépenses. Dans cette situation, en suivant la loi, il serait possible de condamner quelqu’un mettant en avant cette observation du fait de l’absence de chiffres contradictoires avec ceux de l’INSEE ou d’éléments partiels. Et pourtant, en même temps, l’INSEE communique officiellement que l’Indice des Prix à la Consommation est modifié chaque année, sans pour autant en communiquer sa composition. Ce manque de transparence et de communication permet à cet organisme d’éventuellement tricher sur ses calculs et d’atténuer ou d’accentuer l’inflation réellement constatée par les citoyens.

L’absence d’organisme indépendant, ou du moins dépourvu d’intérêt économique ou politique, couplée à cette loi est un danger premier pour les citoyens quant à leur capacité à pouvoir s’exprimer sur le sujet et remettre en question la légitimité du pouvoir en place, ainsi que de ses décisions.

Un danger pour la liberté d'expression

Dès lors que l’Etat applique un texte pouvant être utilisé contre sa propre population, alors qu’il communique lui-même les seules informations disponibles quant à ses activités, je pense qu’il est nécessaire de se questionner sur la notion de liberté d’expression et plus largement de démocratie. L’existence d’un tel texte anti-démocratique est un outil supplémentaire à disposition du gouvernement pour légitimer la mise en place des mesures autoritaires au détriment de la population française.

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Lonely Clarke

Lonely Clarke

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